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30/04/13

Intervention d’un EPF

Valérie Decize est directrice de l’ingénierie foncière à l’EPF Lorraine.

epflDepuis quand travaillez-vous sur la thématique des PPRT ?

L’EPF Lorraine a, dès 2007, inscrit les PPRT dans sa politique pluriannuelle d’investissement. Mais nous n’avons été saisis sur ce dossier qu’en 2012. Pour intervenir, l’EPFL doit, en effet, être saisi par une commune. Aujourd’hui, nous travaillons  sur les PPRT de Han-sur-Meuse et de Richemont. C’est donc une problématique nouvelle pour nous, sur laquelle nous avons un retour d’expérience limité et de nombreuses questions. Potentiellement, nous pouvons intervenir sur tout le territoire de la Région Lorraine.

Comment procédez-vous ?

La première étape est la signature d’une convention foncière entre l’EPF et la commune. Une convention, définissant les modalités de la délégation et les missions de l’opérateur, doit alors être signée entre l’opérateur foncier et la collectivité. Dans le cas où la collectivité compétente est différente de la collectivité expropriante, l’initiative d’intervention d’un opérateur foncier est détenue par la collectivité expropriante.
Ensuite, nous menons en parallèle la gestion foncière, les négociations et la reconversion. L’EPF peut gérer toutes les procédures à la place de la collectivité : enquête publique, négociation, gestion du terrain, la perception des participations des industriels et de l’État. La commune ne paie qu’à la rétrocession.

A Richemont, est-ce que le terrain nu sera valorisé ?

Pour l’instant, la commune n’envisage rien.

Conseillez-vous de démolir le bien ?

Oui ! Et je conseillerais même de le faire rapidement. Pour des questions de coûts, de risque de vandalisme, de frais de gardiennage, la commune a intérêt à démolir le bien dès que celui-ci est délaissé ou exproprié.

Avez-vous repéré d’autres zones d’ombres ?

Nous avons un cas où le bien délaissé est occupé. Que faire des bâtiments occupés lors de l’acquisition ? Quels sont les moyens légaux à notre disposition ?


09/04/13

Une communication meilleure est possible.

Est-ce qu’à force de vivre à côté d’une usine, les riverains oublient sa présence?
On ne peut pas dire que les riverains oublient les usines avec lesquelles ils vivent. Comment le pourraient-ils d’ailleurs ? L’industrie chimique et pétrolière est bien trop indiscrète pour se faire oublier comme ça de ses voisins les plus proches. Les sites de production sont souvent très bruyants, ils génèrent toutes sortes de nuisances (des fumées, des odeurs, des souillures) qui s’imposent en permanence chez tous ceux qui résident à proximité.

Les usines sont aussi des lieux d’intense activité, toujours en mouvement. Il s’y passe tout le temps quelque chose. Certains ne perdent rien de ce spectacle permanent : ils s’intéressent en continu à ces voisines « hors du commun », les scrutent, les surveillent, les écoutent, les hument. D’autres sont moins assidus, mais la plupart indique quand même être plutôt attentif aux manifestations, mouvements et transformations du voisinage industriel.

Mais si les usines sont une source d’intérêt pour les riverains, on ne peut pas dire pour autant qu’elles dominent leur quotidien. Même quand ils les savent dangereuses, ce qui est souvent le cas, les habitants sont loin d’être obnubilés par l’idée de l’accident ou de la nuisance qui menace leur intégrité physique. Ils ont, en général, d’autres priorités. Une multitude de préoccupations domine ainsi la question du risque chez la plupart des riverains que nous avons rencontrés : les problèmes personnels, familiaux ou professionnels bien sûr, mais aussi tous les problèmes de société liés à la montée du chômage et à la dégradation de la situation économique globale.

Contrairement à ce que pensent la plupart des acteurs de la prévention, les riverains ne sont pas focalisé sur le sujet « risque industriel », tout simplement parce qu’il ne fait pas problème (ou pas assez) à leurs yeux.

Les riverains sont-ils plus sensibles à la question des nuisances qu’à celle des risques?
Dire que les riverains sont plus sensibles aux nuisances qu’aux risques revient à penser qu’ils départagent clairement les deux. Or ce n’est pas le cas. Contrairement aux acteurs de la prévention qui ont tendance à compartimenter la réalité pour pouvoir agir, les habitants que nous avons interrogés ne font pas de distinction entre les différents types de problèmes posés par la proximité des usines. Pour la majorité d’entre eux, les catégories de risque, de pollution ou de nuisance ne renvoient pas à des types d’agression clairement identifiés. Les problèmes perçus par les habitants coexistent comme une masse indistincte au potentiel dangereux et nuisible.

On le voit bien dans les entretiens, les riverains ont du mal à distinguer les différents problèmes occasionnés par les usines. Les odeurs, les fumées, le bruit, le souvenir d’un accident, la perspective d’une catastrophe dévastatrice, les signes d’une pollution de l’air ou le récit d’une mise à l’abri suite à une alerte, tout se mêle sans ordre apparent. Il est ainsi fréquent pour les enquêtés de parler des nuisances quand l’enquêteur pose une question sur les risques ou d’évoquer la perspective d’un accident alors que la discussion porte sur les odeurs ou le bruit.

Pour les riverains, risques et nuisances forment une seule et même réalité : ils n’ont donc pas vocation à être distingués, ni dans les discours, ni dans les têtes, ni dans les actes, encore moins dans l’information réglementaire. De ce point de vue, parler des nuisances peut être un bon moyen d’intéresser les riverains à la question des risques.

Comment définissez-vous la relation des habitants à l’usine ?
Elle est dynamique. La perception de l’usine et de ses dangers oscille en permanence (y compris dans le temps court de l’entretien) entre les deux états possibles qu’impose la proximité de l’usine : la situation de danger d’un côté, la situation de sécurité de l’autre. Les riverains se déplacent sans cesse sur l’axe situé entre ces deux extrémités. Tout simplement parce qu’ils n’arrivent pas à fixer une représentation qui pourrait, par exemple, consister à penser qu’il n’y a définitivement aucun danger ou au contraire, à se placer durablement dans la perspective de l’accident à venir. Tous sont dans cet entre-deux, comme en tension entre la certitude que le risque est bien réel et, la volonté de le réduire à néant pour rendre vivable cette proximité très souvent non désirée.

Personne ne peut supporter durablement l’idée d’être en danger. Les riverains se situent donc toujours dans cette double perspective : celle de l’accident, toujours pensé comme possible, et celle de la sécurité, toujours espérée en ce qu’elle permet de réduire la possibilité de l’accident et de ses conséquences néfastes.

Toutes sortes d’arguments sont ainsi mobilisées par les habitants pour neutraliser l’idée du danger. L’autoroute qui passe au pied de l’usine, la population dense qui habite autour et les nombreux bâtiments publics situés dans son voisinage proche jouent souvent ce rôle.

Comment penser, en effet, que des gens responsables aient créé autant de vulnérabilités si les usines étaient vraiment dangereuses ?

De la même manière, le témoignage d’un ami, salarié de l’usine, ou le souvenir d’une information croisée dans le journal peut être fort utile pour se rassurer, surtout lorsqu’il y est question de ces mesures justement conçues pour que l’accident n’arrive pas. Ainsi, l’information devrait, à l’image des représentations habitantes, être conçue dans une perspective dynamique, pour aider les riverains à effectuer ce travail d’interprétation toujours en cours.

Information sur les risques : quels sont les enseignements principaux de votre étude ?

J’en retiendrais trois :
– Le premier est que la connaissance de l’usine et de ses dangers est très inégalement répartie. Les savoirs sur les risques industriels sont très variables d’un riverain à l’autre. La communication officielle ne s’adresse donc pas à une population homogène, qui aurait globalement les mêmes attentes et les mêmes besoins. D’où l’intérêt de varier les contenus, les formes et les vecteurs d’information, de manière à toucher un public le plus large possible.
– L’étude montre également qu’à défaut de s’intéresser aux risques, les riverains s’inquiètent beaucoup de la « santé » économique des usines.
Une bonne moitié des personnes interrogées évoque ainsi des rumeurs de fermeture et/ou de démantèlement des sites de production voisins. Mais si la question préoccupe, elle reste le plus souvent sans réponse car les industriels communiquent très peu sur le sujet. Ils auraient pourtant avantage à le faire. L’absence d’information sur la situation économique des entreprises et leurs perspectives d’avenir contribue à former chez les riverains une représentation opaque du monde industriel qui génère une méfiance envers ses dirigeants d’une part, envers l’information qu’ils produisent dans le cadre des campagnes officielles d’autre part.
– L’étude témoigne enfin des difficultés rencontrées par les riverains pour s’approprier le contenu de l’information réglementaire.
On observe, par exemple, que la profusion de sigles et termes techniques dans la plupart des messages conçus par les industriels perturbe la bonne réception de l’information. Non seulement, elle rebute l’habitant profane, mais elle a tendance à le maintenir dans une condition d’ignorant (ratant du même coup l’objectif qu’elle se donne).
La difficulté est encore renforcée par le pouvoir que le monde industriel exerce (souvent malgré lui) sur son voisinage. Un pouvoir qui paralyse les habitants et les empêche bien souvent de « passer à l’acte » pour s’informer et chercher à en savoir un peu plus sur cette usine qui les interroge ou les inquiète. Parmi les personnes rencontrées, certaines n’osent même pas penser qu’elles pourraient avoir le droit de savoir ce qu’elles risquent, comme si cette possibilité leur était de toute façon interdite.

La réglementation, qui prévoit des campagnes d’information tous les 5 ans, est-elle bien faite ?

A l’exception des consignes à suivre en cas d’accident qui sont plutôt bien assimilées par la population habitante, les moyens existants pour informer sur les risques industriels pourraient être repensés pour davantage coller aux aspirations des riverains et surtout, tenir compte de la diversité des relations qu’ils entretiennent avec l’environnement industriel.

Au cours de l’enquête, nous nous sommes rendus compte qu’à des rares exceptions, la connaissance de ce qui se passe dans les usines est vraiment très faible. Même lorsqu’ils sont normalement informés, les riverains ont tendance à ne pas savoir précisément ce qui se fabrique dans les usines et les dangers auxquels ils s’exposent en vivant dans leur voisinage. L’information réglementaire gagnerait donc à davantage mettre en valeur les activités industrielles, les productions locales, les produits et leurs effets afin de pallier la méconnaissance des habitants sur le sujet.

L’idéal serait de privilégier une information localisée détaillant, de façon simple et imagée, les caractéristiques de chaque usine : quelle activité, quelles productions, quels dangers, quels effets possibles de ces dangers sur le voisinage ? Car si dans son format actuel, l’information réglementaire semble satisfaire les acteurs institutionnels et quelques riverains « experts » du sujet, l’étude montre que les messages diffusés, aussi élaborés soient-ils, ratent une bonne partie du public qu’ils cherchent à atteindre.

Que pourrait être une bonne information sur les risques ?

Pour être efficace, l’information sur les risques industriels ne peut pas se contenter d’informer, c’est-à-dire diffuser un message intelligible sur le sujet qui l’occupe, elle doit d’abord intéresser et concerner son public, tout son public. De ce point de vue, une «bonne information» est une information dynamique, conçue localement et diffusée en continu (à intervalles réguliers, pas trop espacés dans le temps) par des voies multiples.
Une «bonne information» est aussi une information qui n’hésite pas à emprunter des chemins détournés pour toucher tous ceux qu’elle n’atteint pas en allant droit au but.
Une «bonne information» est enfin une information susceptible de nourrir (sans l’entraver) le travail d’interrogation et d’interprétation qui est au fondement de la relation de chaque riverain avec l’usine voisine et qui permet, au bout du compte, de rendre vivable cette proximité non désirée.

Devrait-on s’inspirer des campagnes de communication de la sécurité routière ?

Si l’idée est de profiter des campagnes d’information pour mettre les riverains face à la réalité crue des risques industriels, alors oui, il faudrait s’inspirer des messages de la sécurité routière. L’information sur les risques industriels accorde beaucoup d’importance aux mesures de sauvegarde susceptibles d’être activées en cas d’accident. De même, les actions de prévention supposées contenir les phénomènes accidentels sont largement mises en valeur.
En revanche, la source de danger proprement dite n’est jamais vraiment exposée et comme maintenue dans une sorte de « flou artistique ». Rien n’est dit par exemple sur ce que les riverains pourraient subir dans leur corps si l’événement redouté devait se produire, si l’accident devait arriver « en vrai ». Pourtant, comme je le disais juste avant, les habitants des quartiers industriels sont préparés à cette éventualité et prêts à entendre ce qu’ils risquent vraiment en vivant à proximité d’une usine qu’ils savent de toute façon dangereuse et polluante, c’est-à-dire susceptible de les affecter dans leur intégrité physique. Ils n’ont donc pas besoin d’être protégés en méconnaissance de cause. Au contraire, ils attendent un peu plus de transparence de la part des responsables industriels et des autorités publiques.
En savoir davantage sur les usines, leurs productions et les risques qu’elles engendrent (tous les risques, sans distinction de forme), tels sont finalement les véritables besoins exprimés par le public destinataire de l’information réglementaire.

EN SAVOIR PLUS SUR CETTE ÉTUDE
Cette étude a été commanditée, dans le cadre de la prochaine campagne PPI en Rhône-Alpes, par le secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles et des risques dans l’agglomération lyonnaise (SPIRAL) et le secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques dans la région grenobloise (SPPPY), au laboratoire EVS-RIVES de l’ENTPE et au laboratoire Triangle (CNRS).
L’information sur les risques industriels : quelles attentes ? quels besoins ? – Rapport d’étude, septembre 2012, Eva-Marie Goepfert, Emmanuel Martinais et Gwenola Le Naour