Le projet DREILAND résulte notamment du besoin pour le port de Bâle de maintenir sa compétitivité au niveau européen. Le projet prévoit de créer un troisième bassin situé en « base arrière » par rapport au Rhin, une gare de triage avec un accès direct à l’autoroute qui relie à l’Allemagne à l’Italie. Ce projet s’entend à long terme (2025). Cette approche de la planification est possible car la Suisse dispose encore d’une administration très puissante capable de faire des « Master Plans ». Cette démarche nécessite des moyens importants qui n’existent quasiment plus en France. Le projet du Grand Paris est un projet équivalent.
Unique en Europe, ce projet témoigne de la manière dont une agglomération de 900 000 habitants repense collégialement son avenir. Au travers de cette expérience, deux constats sont possibles concernant la prise en compte des risques industriels. Si l’un des points de départ est l’accident majeur de Sandoz en 1986, cette cause est moins visible dans la manière dont le projet est géré aujourd’hui. Par ailleurs, les servitudes liées au risque (PPRT côté français ou servitude de distance côté suisse) ne freinent pas le développement urbain. La prise en compte des risques industriels se fait de manière négociée entre collectivités territoriales et groupes industriels.
Pour la réalisation du projet, un outil de gouvernance dédié a été mis en place (l’Eurodistrict tri national de Bâle, ETB), permettant aux élus et aux techniciens territoriaux, des communes de Huningue, Weil am Rhein, et au Canton de Bâle-Ville d’ajuster leurs points de vue. Ces partenaires ont signé en 2012 une convention de planification relative à la coopération en vue du développement de la zone des Trois Frontières, entre les ponts de Dreirosen et du Palmrain.
Leur projet est de créer de manière concertée, dans la décennie, huit nouveaux secteurs répartis sur les trois pays pour y développer l‘habitat, la recherche scientifique, l’activité pharmaceutique et les loisirs frontaliers. En effet, Bâle attire, chaque jour, 50 000 travailleurs frontaliers (dont les 2/3 sont français). Les questions relatives à la qualité de vie dans la zone frontalière sont devenues la priorité des élus. En 2013, l’équipe LIN a été chargée de développer un concept urbain à la suite d’un premier plan directeur du groupement d’architectes-urbanistes MVRDV-Josephy-Cabane.
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Interview de Philippe CABANE, urbaniste et sociologue, co-auteur de la première proposition de scénario urbain pour Bâle dans le groupement MVRDV-Josephy-Cabane.
1. Quelles sont les étapes clés de l’évolution de la relation ville-industrie à Bâle ?
Classiquement, au Moyen Age, la ville de Bâle est protégée par une enceinte. Les sources de risques, à savoir les cimetières, sont reléguées au-delà de ce mur. Au 19e siècle, ce sont les abattoirs et les industries qui sont sources de danger. Au milieu du 19ème siècle, une première poussée urbaine conduit à la destruction des fortifications. La ville est en pleine expansion. L’industrie chimique s’étend au bord du Rhin tel que le site de Rosental (actuellement Syngenta, leader mondial de l’agro-industrie) où des colorants pour les textiles sont fabriqués.
Dans les années 1930, la ville s’organise et sépare ses fonctions : logements, commerces, industries, etc. La répartition sociale se fait selon la répartition des risques, avec la construction de quartiers ouvriers importants à proximité des usines.
Bien plus tard, en 1986, un incendie au sein de l’entreprise Sandoz fait prendre conscience aux Bâlois de leur exposition à un risque toxique. Le Rhin est très fortement pollué (2 tonnes de mercure déversé). Cet accident majeur intervient en pleine période de désindustrialisation dont les conséquences diffèrent selon les pays. Ce bagage historique, culturel et social est toujours présent aujourd’hui entre les Allemands, les Français et les Suisses.
2. Quelles sont les caractéristiques urbaines du Campus Novartis ?
L’entreprise a développé un véritable Campus privé. Situé sur l’ancien site de l’entreprise Sandoz à la frontière avec la France, des filières « propres » telles que la recherche, le marketing ou le management (life science) se développent. Fort de sa position commerciale, le groupe Novartis, issu de la fusion de Sandoz et CIBA-GEIGY et leader mondial du vaccin (6% du marché mondial), est en capacité d’orienter les choix urbains qui les concernent.
Par exemple, un échange a eu lieu entre le groupe industriel et la ville de Bâle : le Campus a intégré une rue de la ville en échange d’une parcelle permettant aux Bâlois d’accéder au Rhin (projet de voie verte).
D’un point de vue social, le site est un quartier cloisonné, « un monde à part ». Au sein de cette « petite utopie urbaine », le pouvoir économique est représenté par une expression architecturale haut de gamme et une organisation sociale du travail basée sur l’accueil d’une communauté d’expatriés qui développe peu d’échanges avec la population bâloise et s’intègre peu. Plus de 10 000 personnes du monde entier travaillent sur ce Campus. Dotée d’un pourvoir d’achat considérable, cette « société parallèle » induit un risque de gentrification.
A Bâle, il n’y a pas de règles d’usage pour les espaces publics exposés à des risques industriels. C’est une logique de bon sens qui prime.
De manière générale, le rapport entre les autorités suisses et les citoyens est très différent. Les réglementations sont essentiellement cantonales et le citoyen est amené à prendre ses responsabilités. Les collectivités gèrent les problèmes de manière pragmatique. L’urbanisme est davantage négocié.
Pour Philippe Cabane, urbaniste-sociologue, « le risque est une définition politique : en Suisse, les nuisances sonores sont beaucoup plus contraignantes que la présence de risques industriels. Le projet DREILAND montre comment passer d’une logique de frontière, sur lesquelles sont installées tout ce que la ville ne veut pas, à une logique de centralité en créant un quartier tri-national qui intègre de fait des entreprises. Les frontières deviennent des zones à valoriser ».
La coopération a un effet levier sur le plan financier.
Une instance de gouvernance dédiée au projet Dreiland aborde tous les domaines de la coopération transfrontalière. L’Eurodistrict tri-national de Bâle (ETB) est une association française loi 1901 née d’un projet interreg Franco-suisse. Il rassemble 27 élus qui se réunissent 4 fois par an. 25% sont français, 25% allemands et 50% suisses. Le pouvoir parlementaire est exercé dans un conseil consultatif qui se réunit également 4 fois par an.
L’existence d’un projet d’ensemble permet d’entrer en négociation avec des acteurs supra-locaux tels que la région Alsace, le département du Haut-Rhin. C’est la même chose côté allemand. Le projet comprend également différentes phases de réalisation afin de trouver des financements adaptés et des partenaires tels que Voie Navigable de France et la Caisse des Dépôts et Consignations.
La mise en place d’une stratégie politique tri-nationale claire facilite le travail avec les industries présentes sur le territoire dont Novartis. Les collectivités ont ainsi gagné en crédibilité en construisant un projet commun.
IBA BASEL : un outil d’appel à projet pour régions complexes
(source : www.3land.net)
Les expositions internationales d’architecture comptent parmi les instruments les plus efficaces en matière d’aménagement en Allemagne. Consacrées à l’origine à l’innovation et aux nouvelles formes d’habitat et de construction, elles se sont récemment focalisées sur la recherche de solutions d’avenir pour des régions complexes.
Avec l’IBA Basel 2020, l’exposition internationale d’architecture s’inscrit, pour la première fois au-delà des frontières nationales. Dépasser les frontières est le maître-mot de l’IBA Basel. Les territoires des 3 pays ne veulent plus se tourner le dos et souhaitent exploiter le potentiel commun de l’agglomération pour développer un espace de vie cohérent.
Cette voie passe au droit du site Seveso seuil haut BASF. De nombreuses discussions ont eu lieu avec l’État. A l’origine, les services de l’État refusaient le projet compte tenu des risques en présence. Mais au final, « il y a eu une volonté de tout le monde pour faire aboutir le projet de voie verte, autant de la part de l’État, de la commune et des industriels« , précise Dominique Bohly, responsable technique à BASF et adjoint au maire de Huningue
Dans le cadre de la procédure du PPRT, BASF a réduit le risque à la source en investissant plus d’1 M€. Les effets de surpression et thermique ont été limités par la réalisation d’un mur anti-déflagration construit spécialement pour réduire la vulnérabilité des piétons et des cyclistes et ainsi respecter le règlement du PPRT. Cela a alourdit sensiblement le coût de cette piste cyclable. Depuis, une réorganisation du site BASF a été envisagée et une partie de la production a été transférée sur d’autres usines en Allemagne. Le site dans sa nouvelle configuration ne présente plus de dangerosité importante. La partie BASF, classée Seveso seuil haut, ne sera plus présente à Huningue à partir de 2016. L’arrêté préfectoral sera mis à jour pour que le PPRT soit révisé.
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La situation transfrontalière a donné lieu à la création de l’Eurodistrict, structure de gouvernance supplémentaire aux instances territoriales déjà existantes. Cela amène chaque pays à se positionner et à ajuster des logiques de fonctionnement et des réglementations différentes en créant ainsi un véritable effet levier vis à vis des partenaires industriels et de la réglementation PPRT. C’est en s’appuyant sur ces différences qu’une certaine souplesse se met en place pour développer ce projet urbain unique en Europe.
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Parmi les acteurs locaux, les grands groupes chimiques et pharmaceutiques, comme Novartis ou BASF, ont un poids considérable. Cela s’est révélé au travers de choix urbains amenant parfois des démarches de « ségrégations spatiales » liées à des aspects fiscaux compréhensibles (construction de parcs de stationnement et de terrains de sport côté Huningue par le groupe Novartis).
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Concernant la réalisation de la voie verte qui traverse la zone PPRT de BASF, ce projet a finalement abouti à la délocalisation d’un certain nombre d’activités à risque et, par la même, à faire « tomber » la réglementation PPRT. Cela a été possible grâce à un financement privé très important.
Sandra Decelle-Lamothe, coordinatrice de RESIRISIK
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Le rapport à l’espace et aux industries est différent entre la Suisse et la France. Des manifestations publiques et festives ont lieu, en été, au bord du Rhin, juste en face du site BASF ! L’impatience des citoyens à retrouver l’accès au fleuve pousse les industries à reconsidérer les risques générés par leur activité.
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L’un des objectifs du séminaire était de valoriser la démarche d’appel à idées au service de la prise en compte des risques dans l’aménagement du territoire. Grâce à l’IBA Basel, les collectivités trouvent des ressources dans les domaines de l’architecture, du paysage, du design urbain au service d’une mutation foncière impliquant des sites industriels. C’est une manière pour les élus de « prendre du champ » et de traduire, en termes d’urbanisme et d’aménagement, un dessein politique où l’industrie trouve sa place parmi les autres fonctions urbaines.
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A Bâle, les sites industriels et leurs mutations sont aussi vecteurs de créativité. La collectivité autorise l’utilisation temporaire de friches industrielles en reconversion qui deviennent des espaces de transition avec des installations artistiques et des modes de vie atypiques (autorisation de construire des baraquements sur un ancien site de stockage de fuel). Le séminaire a été pensé pour être une source d’inspiration pour les élus locaux afin que la gestion de la sécurité ne soit pas toujours orientée vers l’exercice d’une pression réglementaire sur l’usage des espaces publics.
Yves Blein, député du Rhône, maire de Feyzin, président d’AMARIS
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Le paysage de Bâle est celui d’une ville marquée par l’industrie chimique et pharmaceutique. Quand on parle de la prise en compte du risque, on parle aussi d’autres risques industriels liés à des effets plus importants du fait des industries pétro-chimiques. Le rapport ville-industrie est peut être facilité ici car les sources de danger sont moindres.
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La relation à l’entreprise est différente en Suisse. En France, la défiance prime. Pourtant, on peut être fière d’avoir des fleurons de l’industrie dans nos communes. Cette différence est peut-être liée à la manière dont est gérée la fiscalité : en Suisse, 60% des impôts sont négociés ! Cela crée forcément un rapport différent au contribuable.
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L’enjeu est aussi d’arrêter de sur-réglementer les textes européens pour éviter de pénaliser la compétitivité de l’entreprise France. Dans l’espace transfrontalier, la spécificité française découle de la loi « risques » qui est une sur-réglementation.