INTERVIEW >POLLUTIONS INDUSTRIELLES

Trois questions à
Philippe Chamaret

Responsable de l’Institut Écocitoyen pour la Connaissance des Pollutions (IECP Fos-Berre)

 

“Les pollutions industrielles représentent un vaste champ de méconnaissance”

 

 

À l’instar de ce qui se passe dans la société française, les Rendez-vous Majeurs accordent cette année une place importante aux questions de pollutions industrielles et de santé publique. Peut-être aussi parce que dans le cercle des acteurs de la prévention des risques, cette problématique peine encore à trouver un écho concret. Or, il devient urgent de s’en emparer. D’autant plus que des expériences inspirantes existent déjà, comme l’Institut Écocitoyen pour la Connaissance des Pollutions.

 

L’Institut Ecocitoyen (IECP) est un centre de recherche sur l’environnement et les effets des pollutions sur la santé. Il a été créé à Fos-sur-Mer en 2010 à l’initiative des élus pour faire suite à une forte demande citoyenne. Il s’agissait de développer la connaissance du risque environnemental sur un territoire industriel complexe, pour améliorer la qualité de l’air, des sols et du milieu marin. Le programme d’études, essentiellement bâti sur les interrogations des habitants et de leurs élus, répond aux nombreux enjeux souvent contradictoires de la zone de Fos-Berre. Il est réalisé par une équipe de scientifiques qualifiés en chimie de l’environnement, en biodiversité, en pathologies environnementales, appuyés par un consortium national de laboratoires universitaires. Ainsi, l’IECP a permis de construire des méthodes de suivi adaptées aux milieux complexes et d’élaborer des méthodes alternatives pour la dépollution des sols. 

 

RDVM : Les pollutions industrielles, votre sujet d’étude depuis plus de 10 ans, constituent un thème central des Rendez-vous Majeurs cette année. Quelle est votre vision de cette thématique et de ses enjeux actuels ?

Philippe Chamaret : “ En fait, la question des pollutions industrielles parle avant tout du vécu des habitants. Ce sujet permet d’aborder le risque de façon intégrée : sa dimension chronique, comment il impacte le quotidien des gens, l’aspect sensoriel (odeurs, bruit, flammes, panaches de fumée). C’est donc une très bonne porte d’entrée pour dialoguer avec les populations : interroger leur quotidien permet de les embarquer dans une démarche de production de connaissances. 

Plus largement, je dirais que les pollutions industrielles représentent aussi un vaste champ de méconnaissance. Aujourd’hui, on peut difficilement affirmer quelles peuvent être les conséquences de l’exposition d’une population à un ou plusieurs polluants, à l’exception de certaines substances comme l’amiante ou le plomb. Mis à part ces cas très rares, il y a trop de paramètres en jeu. Ce champ de méconnaissance appelle la recherche pour des raisons scientifiques évidentes. Mais il appelle tout le monde en fait, car, quand on connaît peu de choses sur un sujet, il est crucial de définir les questions pour y entrer. Et celles-ci doivent être formulées par les acteurs des territoires en tension : les résidents, les associations, les collectivités, les exploitants, les scientifiques. 

Enfin, les pollutions industrielles sont le marqueur de l’innovation. Pour le dire simplement, l’industrie dépense des sommes colossales pour inventer des choses nouvelles, sans forcément investir autant dans la recherche sur les risques qu’elles engendrent. Donc, nous sommes sans cesse en train de courir derrière l’innovation. Je pense qu’il faudra un jour changer d’approche : plutôt que de jouer au chat et à la souris, pourquoi ne pas investir dans la connaissance a priori, pour éviter de faire face à des situations catastrophiques 30 ans plus tard. L’exemple des PFAS est, à ce titre, tout à fait emblématique.

 

RDVM : Selon vous, à quels besoins répond l’IECP ?

Philippe Chamaret : “J’en vois plusieurs. Tout d’abord, il permet de prendre en compte les spécificités des territoires. Il y a peu de choses communes entre la zone de Fos-étang de Berre, la vallée de l’Arve ou la vallée de la chimie au sud Lyon, malgré leurs similarités en tant que territoires industriels marqués par un fort trafic routier. Les activités y sont différentes, comme le climat ou les façons de vivre. Pourtant, chacun de ces territoires est suivi – grosso modo – par la même réglementation, limitée à quelques polluants souvent peu spécifiques du lieu. Ce canevas monolithique rend l’action de prévention peu efficace, et laisse peu de place à la recherche pour investiguer des paramètres intéressants, bien que non réglementaires. Alors que ces investigations complémentaires devraient être légitimes et normales. Or le défaut de connaissances est un frein à l’action des collectivités et des autorités pour conduire des actions de prévention ou de dépollution des milieux. Dans ce contexte, l’Institut développe une connaissance scientifique qui se veut adaptée aux enjeux locaux, qu’il confie aux décideurs et aux usagers du territoire. En lien constant avec eux, il leur permet de disposer d’informations et de données fiables pour conduire leurs politiques environnementales.

Ensuite, il existe un besoin vital des citoyens d’être écoutés. De telles instances se créent là où les gens expriment une exaspération face au sentiment de silence et de surdité des autorités. Souvent, la seule réponse apportée aux questions est : “tout est prévu, ne vous inquiétez pas”. Ce genre de réponse passe de plus en plus difficilement. Face à cela, nous créons un espace d’expression et de transformation en sujet scientifique, où il est possible d’écouter, de problématiser et d’essayer de trouver des réponses. 

Enfin, je crois qu’il répond à un besoin de participation. Cette tension autour des questions des citoyens (fondées sur leur vécu et leur personne) et les réponses des experts (fondées sur un automatisme propre à la puissance administrative) crée un espace politique d’engagement. Les riverains des zones industrielles et, plus généralement, des territoires exposés aux polluants issus des activités humaines, ne veulent plus subir leur situation. Ils veulent s’engager, se mobiliser, être acteurs de leur vie et de leur avenir. L’ambition de l’Institut est de créer un espace qui permet cela. ”

 

RDVM : Alors que l’IECP a très longtemps œuvré seul, ces dernières années ont vu la naissance d’autres instituts, dans la vallée de l’Arve ou dans le département de l’Aude par exemple.  Comment expliquez-vous cette émergence ?

Philippe Chamaret : “ A mon sens, plusieurs raisons peuvent expliquer cette évolution. Tout d’abord, les problèmes de pollution sont de plus en plus connus et médiatisés. Il y a une prise de conscience collective très importante. Par ailleurs, très longtemps, les collectivités locales ont été en retrait. Elles ont peu de pouvoirs et peu de responsabilités dans ce domaine. Mais actuellement les choses évoluent, notamment avec la diminution des moyens et des compétences de l’État en matière de prévention des risques et de réduction des expositions aux polluants. Enfin, ce désinvestissement de l’État, porte sur sa capacité à organiser le dialogue entre les parties prenantes. J’en veux pour preuve le plan d’action gouvernemental sur les PFAS par exemple, qui en la matière ne propose que “de la transparence sur les contaminations”.

Ces différents aspects mènent donc aujourd’hui à l’émergence des démarches similaires, déclinées sous différents formats : instituts citoyens, écocitoyens, observatoires écocitoyens, observatoires de la santé, etc. Quels que soient leurs noms, ces pôles partagent tous le même objectif, à savoir de développer la connaissance par la recherche, pour répondre aux besoins et aux enjeux locaux, de la façon la plus participative possible. La connaissance doit découler d’un besoin prononcé, répondre à une question posée par le territoire, et non pas arriver de nulle part, histoire de dire que l’on a fait quelque chose.