Trois questions à Marc Sénant
Responsable Savoir-faire et Méthodes, Icsi
« Dialogue territorial, il faut retrouver un cadre d’échange efficace, malgré l’absence d’obligation légale. »
Si les instances locales de dialogue ont su prouver leur efficacité lors de l’élaboration des PPRT, elles semblent aujourd’hui plus à la peine. Le contexte a-t-il évolué ? Ou est-ce le modèle qui s’essouffle ? À la suite de l’accident d’AZF et de l’adoption des lois Seveso, la nécessité de mettre en place des PPRT sur toutes les zones à risque a contraint au dialogue les différents acteurs de la prévention des risques. Ils ont éprouvé l’importance d’échanger régulièrement autour d’un sujet central : la sécurité des populations, grâce à la prévention et à la recherche d’atténuation des accidents.
Aujourd’hui, alors que pour l’essentiel ces objectifs sont atteints, les acteurs constatent que les espaces de discussion ont du mal à se pérenniser et à s’emparer des enjeux émergents, comme les risques chroniques. Marc Senant, responsable savoir-faire et méthodes de l’Icsi, nous présente sa vision des enjeux du dialogue territorial, le thème du débat que l’Institut co-pilote à cette occasion.
RDVM 24 : Avec le recul, l’apport des instances de dialogue dans le développement de la prévention des risques industriels ces dernières décennies est indéniable. Selon vous, à quoi tiennent les difficultés qu’elles rencontrent actuellement ?
Marc Senant : Ces 20 dernières années, il y a effectivement eu une dynamique très forte dans les territoires. Elle tenait à deux raisons principales : la première était politique, à cause du cadre légal imposé, et la seconde plus conjoncturelle, avec l’impact de l’accident d’AZF sur la société française. Tous les acteurs de la prévention des risques avaient donc pour objectif la sécurité des habitants et, bon an mal an, chacun s’employait à l’atteindre. Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. Dans le rapport entre l’industrie et son territoire, dans la relation aux élus, et du point de vue des attentes du public quant à des sujets émergents, comme le changement climatique, la pollution, les questions de santé.
Avant, tout le monde était focalisé sur les risques accidentels. Désormais, les enjeux se situent sur d’autres thématiques. Peut-être parce que le travail a été fait, mais probablement aussi parce qu’au niveau sociétal, on s’inquiète beaucoup moins de risques hypothétiques que de dangers plus diffus, perçus comme beaucoup plus préoccupants et prégnants. Or, les instances existantes ont des difficultés à répondre à ces attentes.
RDVM 24 : Elles souffriraient donc d’une sorte d’inadaptation structurelle aux nouveaux enjeux des risques ?
Marc Senant : Pas structurelle, plutôt contextuelle. Les PPRT ont agi comme des accélérateurs, des leviers de dialogue. Les industriels, l’État, les collectivités, tous les acteurs avaient des objectifs mais aussi des contraintes, des obligations et des délais à respecter. Il leur fallait agir concrètement, établir des périmètres de sécurité, identifier les bâtiments à renforcer, etc. Aujourd’hui, concernant les risques chroniques, le changement climatique ou les autres sujets émergents, nous sommes sur des enjeux « hors cadre ». Il n’y a à la fois pas de contrainte ou d’obligation légale posée, et pas non plus d’éléments concrets et définis sur lesquels travailler. D’une certaine manière, il manque de la donnée, scientifique ou autres, qui fasse consensus et puisse servir de point de départ au dialogue. Des éléments de ce type surgissent lors d’incidents comme celui de Lubrizol, ou quand la presse met à jour un scandale sanitaire. À ce moment-là, lorsque l’on touche à des problématiques santé-environnement, les citoyens s’emparent du sujet et forcent les acteurs à réagir. Mais comme ces sujets sont encore flous, on peine à avancer sérieusement.
RDVM 24 : Quelles pourraient être les conditions et les moyens d’un nouveau dialogue territorial, hors cadre contraignant ?
Marc Senant : Au regard de ce que nous venons de dire sur l’évolution des enjeux et des attentes des citoyens, je pense qu’il faut poser deux conditions de fond au préalable. D’une part, il est nécessaire de redéfinir l’objet de ce dialogue, qui doit désormais porter sur le suivi environnemental et sanitaire des territoires. D’autre part, il est impératif de disposer de données sur les problématiques locales, qui soient accessibles et intelligibles de tous, depuis l’expert jusqu’aux riverains.
La prise en compte des spécificités du terrain est encore plus importante aujourd’hui que lors de la mise en place des PPRT. Entre pollution, dérèglement climatique, risques NaTech (naturels et technologiques), les enjeux peuvent évoluer du tout au tout. Comme les acteurs en présence. Il importe donc de poser un diagnostic partagé, qui corresponde vraiment à la réalité vécue par les habitants, qui permette de définir des objectifs et sur lesquels la discussion puisse s’engager. C’est la démarche que nous essayons de promouvoir avec l’Icsi, car elle nous semble incontournable pour caractériser les besoins spécifiques à la bonne échelle. Et c’est seulement à partir de cette étape qu’une feuille de route pertinente peut être définie, quant aux sujets et aux formats du dialogue.