CULTURE DES RISQUES INDUSTRIELS

Trois questions à Ghislaine Verrhiest-Leblanc

Directrice générale de l’AFPCNT

 

« Les progrès sont réels mais il ne faut pas baisser la garde. »

 

 

Association Française pour la Prévention des Catastrophes Naturelles et Technologiques est l’un des acteurs clés de la prévention des risques en France. De ce fait, son projet associatif pour le développement de la culture du risque et la résilience face aux risques majeurs est soutenu par l’État, notamment pour organiser et coordonner les actions de sensibilisation de la population aux risques industriels.  

 

Pour les Rendez-vous Majeurs, l’AFPCNT est également co-pilote de l’atelier Culture du risque et co-organisateur de l’Agora des partenaires. C’est à ce titre que nous avons souhaité interroger sa directrice générale, Ghislaine Verrhiest-Leblanc, sur les enjeux de cette rencontre.

 

RDVM24 : Depuis plus de 20 ans, les gestionnaires des risques cherchent à développer une culture des risques chez les riverains des sites Seveso. Or, on ne peut que constater que cela ne prend pas. Pourquoi selon vous ?

Ghislaine Verrhiest-Leblanc : Je serai moins radicale que vous dans le constat même si la culture des risques industriels en France reste perfectible.
Les progrès sont réels mais il ne faut pas baisser la garde. Ils reposent sur une culture du risque croissante, des préoccupations grandissantes dans le domaine de l’environnement et sur une volonté marquée d’engagement de l’ensemble des parties prenantes des territoires : citoyens, collectivité, acteurs industriels, État…
Ces progrès témoignent également d’une posture d’ouverture et d’écoute des acteurs institutionnels, d’une évolution des modèles de prise de décision et du développement de dispositifs permettant l’intégration citoyenne. Les mutations dans ce domaine doivent également se poursuivre.

Il est enfin évident que les bouleversements climatiques – mettant en exergue les risques météorologiques, les crises sanitaires et économiques, ainsi que les évolutions sociétales – et une certaine perte de confiance voire défiance des populations envers les autorités – ont profondément modifié la perception des risques et le rapport à la prévention des risques par les citoyens.
Au cours des vingt dernières années, la perception des risques industriels a, dans ce contexte, radicalement changé. Lorsqu’on interroge la population sur les dangers perçus au quotidien, la catastrophe industrielle n’est que peu mentionnée, tandis que le risque pour la santé devient une préoccupation de premier ordre. 
Les citoyens craignent aujourd’hui bien moins l’explosion de l’usine que la détérioration de l’environnement, pour soi, ses proches et son territoire. Le danger n’est plus perçu comme brutal et ponctuel, mais présent au quotidien.

 

RDVM#24 : Les méthodes et outils déployés depuis plusieurs décennies pour forger une culture des risques naturels sont-ils transposables aux risques industriels ? Existe-t-il des spécificités à prendre en compte pour les risques industriels?

Ghislaine Verrhiest-Leblanc : Les démarches utilisées ces 20 dernières années pour sensibiliser les populations aux risques naturels peuvent être source d’inspiration. Les risques industriels présentent bien évidemment une spécificité par rapport aux risques naturels : la source est connue et gérée par un exploitant, le lien économique et social avec l’activité génératrice du risque est souvent fort au sein des populations avoisinantes, les phénomènes et les effets (thermiques, toxiques de surpression) de formes différentes que celles associés aux événements naturels.
Cependant l’esprit, les principales composantes et certains fondamentaux de la prévention restent les mêmes : connaissance des risques et des moyens d’actions, culture du risque, mémoire et retour d’expérience, construction et aménagement du territoire, préparation à la crise, relèvement post-catastrophe… Des outils et des messages communs peuvent ainsi permettre de sensibiliser et de préparer les populations à faire face aux risques majeurs, qu’ils soient naturels ou technologiques. 

Les crises sont par ailleurs de plus en plus multiformes et complexes, un risque en entraînant un autre. La dimension « natech » (l’impact qu’une catastrophe naturelle peut engendrer sur tout ou partie d’une installation industrielle) devient source de préoccupation croissante tant chez les professionnels qu’au sein des populations voisines d’un site industriel.
Enfin, le retour d’expérience relatif à la performance des actions de développement de la culture des risques naturels peut être facilement transposé et utile. A titre d’exemples, l’expérience sur les risques naturels témoigne de conditions de réussite et d’impact clés telles que le travail pluridisciplinaire alliant dimensions techniques et humaines, la mobilisation de l’émotionnel, les mises en situation et l’expérience du vécu, l’utilisation des nouvelles technologiques et la multiplicité des formats, la territorialisation, la personnalisation et les processus d’identification, la communication positive et engageante. 

 

RDVM#24 : Lors des RDVM, vous co-pilotez la session sur la culture des RI. Vous avez souhaité que les échanges soient organisés sous forme d’atelier. Pourquoi cette forme ? Qu’en attendez-vous ?

Ghislaine Verrhiest-Leblanc : L’AFPCNT et AMARIS ont choisi de co-organiser la session sur la culture des risques industriels sous forme d’atelier afin de co-construire des pistes de travail pour demain. Les retours d’expérience et les évaluations des actions de développement de la culture du risque sont finalement assez récents. Nous avons encore beaucoup à apprendre de l’écoute des citoyens et des acteurs locaux ainsi que du partage des pratiques mises en place ici ou là. Si nous savons que certains formats fonctionnent plus que d’autres, nous n’avons pas à ce jour de solutions performantes sur étagères à transposer sur l’ensemble du territoire.

Le format de l’atelier se prête ainsi parfaitement au travail d’écoute, de réflexion, de prospection indispensable dans ce domaine de la culture du risque. Il sera une formidable opportunité et une source d’enrichissement (opérationnel, relationnel, technique…) afin de progresser ensemble pour la mobilisation citoyenne face aux risques industriels. Nous espérons que cet atelier nous permettra d’esquisser une feuille de route commune nourrie des avis, des regards critiques, des suggestions formulées.